« La télémédecine, ça ne sert à rien ou alors que à quelques-uns »
On savait déjà grâce à la DREES que c’étaient surtout les jeunes urbains à l’aise avec la technologie qui faisaient le plus de téléconsultations. Loin donc des personnes âgées, en perte d’autonomie, ou en milieu rural, pourtant les usagers à qui l’accès distant à un médecin semblerait rendre le plus de services. En 2021, 45% des patients téléconsultants avaient ainsi moins de 44 ans – contre 29% en cabinet.
Voilà maintenant que c’est le syndicat des médecins généralistes MG France, en s’appuyant sur les résultats d’une enquête des caisses primaires d’assurance-maladie (CPAM) d’Île-de-France, qui dénonce le non-service rendu par les « plates-formes de téléconsultations ». Les chiffres grimpent : ce seraient maintenant 82 % des patients téléconsultants qui auraient moins de 39 ans. Plus grave : MG France souligne aussi des dérives et abus, entre majorations indues et surprescriptions médicamenteuses. Bref, une « médecine dégradée » selon Agnès Giannotti, présidente de MG France.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Pierre Simon, ancien président-fondateur de la Société Française de Télémédecine, a très bien répondu à cet inventaire de défauts en introduisant une série de nuances bienvenues. En résumé : la téléconsultation telle que la pratique les plates-formes tant décriées répond à de vrais besoins d’une population bien précise, que la médecine de ville, faute d’effectifs, ne sait plus prendre en charge.
Les bonnes télémédecines pour les bons publics
Les jeunes sont surreprésentés ? C’est logique, car ils sont aussi ceux qui, au contraire de leurs aînés, ne trouvent pas de médecin traitant. Il y a plus d’actifs urbains téléconsultants ? Là encore, leur mode de vie les amène à chercher des créneaux disponibles plutôt après 19h, une denrée rare en cabinet. Bref, Pierre Simon replace avec acuité les choses dans leur contexte. Reprocher à Doctolib de soigner les jeunes urbains, ce serait comme reprocher à un marteau de servir à planter des clous : c’est ce pour quoi il est conçu !
Non effectivement, un résident d’Ehpad ne téléconsultera jamais seul via son smartphone sur Maiia. Et ce n’est pas un mal, c’est normal : ce service ne lui est pas destiné. C’est faire un mauvais procès à la télémédecine que de la présenter comme un tout monolithique. Il en existe de nombreuses nuances adaptées à de nombreux publics (téléconsultation autonome, accompagnée, téélexpertise, télésurveillance…). En Ehpad par exemple, les résidents des établissements que TokTokDoc accompagne bénéficient de quatre fois plus de consultations de spécialités, avec des délais de rendez-vous divisés par 6 à 9.
73% des médecins traitants se déclarent bien informés. 94% des personnels voient une amélioration de la qualité du temps qu’ils accordent aux résidents. Pourquoi ? Parce que nous avons adapté la télémédecine à ce public et à cet environnement. TokTokDoc permet de réaliser des téléconsultations assistées et augmentées ; la personne est accompagnée sur son lieu de vie d’un professionnel de santé lors des échanges avec un médecin distant. La consultation s’effectue à l’aide d’une tablette mobile et d’objets médicaux connectés (stéthoscope, ECG, échographe cardiaque…). Le personnel de l’établissement peut expliquer les échanges et compléter la pratique du médecin pour faciliter certaines prises en charge.
Vers une nouvelle chaîne graduée du soin ?
En France, on a de moins en moins de temps médical, mais on a des idées. L’écosystème d’offres innovantes en santé est foisonnant. Il nous appartient à tous, acteurs publics, associatifs, privés de construire une nouvelle chaîne graduée du soin pour utiliser au mieux le temps soignant. À quoi cela pourrait-il ressembler ? Par ordre approximatif de complexité croissante du besoin :
- Des téléconsultations autonomes rapides via des plate-formes pour certains besoins simples et les patients à l’aise avec cette modalité
- Des consultations physiques auprès de professionnels de santé qui ne soient pas des médecins via la délégation de tâches, comme cela est déjà entamé avec les pharmaciens pour la vaccination, les sages-femmes ou encore les Infirmiers en Pratique Avancée (IPA)
- De la télésurveillance, asynchrone, permettant au médecin de suivre les informations de ses patients au moment qu’il choisit
- Des téléexpertises, là encore asynchrones, quand le besoin s’y prête, qui permettent d’optimiser le temps médical et d’obtenir l’avis d’experts
- Des téléconsultations accompagnées par un professionnel au chevet du patient en plus du médecin distant, pour des besoins plus complexes
- Du présentiel en cabinet quand c’est indispensable et que le patient peut se déplacer
- Du présentiel au chevet du patient (déplacement ou transport médical) en dernier recours
Inventer ensemble les nuances de la médecine de demain
Bien sûr, beaucoup de choses manquent dans cette échelle. On pourrait parler de triage, de médecine de ville ou hospitalière, d’autres façons de soigner aussi (par téléphone, par IA…). L’important est surtout de dessiner un système de coordination et de coopération, augmenté par la technologie, dans lequel tout est fait pour placer les médecins dans le siège du pilote :
- informé dans les étages « bas » de la fusée
- acteur distanciel asynchrone et donc maître de son temps au milieu
- assisté quand le besoin d’en fait sentir
- ou présent physiquement (avec les contraintes que cela implique) quand on atteint le sommet de la pyramide des besoins.
Le problème n’est pas la télémédecine. Elle est désormais inévitable. Le problème est de vouloir faire rentrer des carrés dans des ronds en utilisant les mauvaises modalités pour les mauvais publics. De ne pas travailler, ensemble et de façon proactive, la complémentarité des offres de soin. Et, peut-être, de passer du temps à chercher des coupables, plutôt que des solutions.
Aurélien Rousseau ne disait d’ailleurs pas autre chose le mois dernier au Congrès des maires de France : « il faut qu’on invente un modèle », où, « oui, on n’aura pas accès aussi facilement qu’avant à un médecin à 5 minutes de chez soi », mais où l’on aura par exemple parfois « accès à une infirmière de pratique avancée […], à une téléconsultation avec un professionnel de santé qui vous accompagne », et « quelques fois à des rendez-vous avec un médecin, parce qu’il y a des choses que seules un médecin peut faire ».
Photo de couverture : Clay Banks