Voilà qui va apporter de l’eau au moulin des détracteurs de la télémédecine : une étude récente (juin 2024) publiée dans le journal NPJ Digital Medicine conclut qu’il y a peu de preuves solides de son effectivité comparée à la médecine physique. Mais avant de penser l’effectivité du soin, il faudrait déjà réfléchir à sa possibilité… et donc ne pas se tromper de question !
Que l’on soit clair : il n’y a aucun doute sur l’intérêt d’une consultation avec la présence physique d’un médecin. Notamment comparé à celui d’une consultation « distancielle », même accompagnée par un professionnel paramedical. Et c’est avec quelques heures de vol sur le sujet (1000 téléactes par mois environ) que je vous le dis.
Mais tous ces débats s’éteignent dès lors que la question se déplace vers l’accessibilité des consultations. Déserts médicaux. Accessibilité potentielle localisée (APL). ZIP (zones d’intervention prioritaire). ZAC (zones d’action complémentaire). Patients complexes (Ehpad). Il y a des endroits où ni les médecins ni les patients ne se déplacent : trop loin, trop compliqué, peu d’aide, peu de soutiens.
« You’re not asking the right question »
C’est le mantra de la détective jouée par Jodie Foster dans la série True Detective : Night Country. En bonne enquêtrice, elle sait qu’une réponse n’est bonne – que si la question est d’abord bien posée.
Dans le cas de la télémédecine, se concentrer pour reproduire absolument l’équivalent d’une consultation physique n’est pas la bonne voie à suivre. Elle aboutit à des absurdités truffées de capteurs technologiques destinées à fournir au médecin autant de « données » supposées que ce qu’il aurait en auscultant soi-même son patient. Certains propos vendent d’ailleurs la mèche, comme celui de ce pharmacien à Casteljoux et de sa cabine de téléconsultation : « c’est rassurant pour le client »…
Vous connaissez le jeu « Jeopardy ! » ? Dans ce programme télé américain, les candidats sont confrontés à une réponse et doivent formuler la bonne question. Dans le cas de notre pharmacien, la télémédecine répondrait donc à l’enjeu de « rassurer le client ». « Rassurer » donc, et pas soigner. Le « client », et pas le patient. Un sacré aveu.
Additionner plutôt que substituer
L’obsession d’obtenir un signe « = » entre distanciel et présentiel rate le véritable objectif : celui d’avoir un signe « + ». Non pas substituer, mais additionner. Étendre la portée, augmenter la file active et les points de contact – et non pas les remplacer.
Pour cela il faut deux choses. D’abord considérer le soin distanciel comme une pratique à part entière, et non pas comme un erstaz du présentiel. Notons par exemple les efforts naissants de la « télésémiologie », c’est à dire la construction d’un vocabulaire spécifiquement adapté à la pratique. Ou l’adjonction d’un infirmier ou d’une infirmière « de télémédecine » au chevet du patient pour assister la téléconsultation, se faire l’interprète des propos du médecin, et être son prolongement lors de l’examen.
Deuxième point : créer des parcours hybrides ou les actes présentiels et distanciels s’articulent là et quand ils sont pertinents. Autrement dit : penser la complémentarité. Comme le dit un directeur d’Ehpad utilisateur de nos solutions : « on sait qu’il n’y aura pas plus de médecins. » Il faut donc faire avec et co-construire la médecine de demain. Elle ne sera pas différente. Elle sera organisée différemment. Au bénéfice des patients et des soignants.
« Primum non nocere », l’un des fondements de la démarche médicale, ne suffit pas. La question est et a toujours été : « comment mieux soigner ». Et la télémédecine est un des éléments de la réponse.
À condition de se poser les bonnes questions.
Dan
Photo de couverture : extrait de True Detective : Night Country, HBO / Issa López