Budget des EHPAD publics et privés non lucratifs en 2022 (variation vs 2017)

Déficit des Ehpad : 3% ou 85% ?

À l’occasion des Assises des Ehpad, les publications et les éditoriaux fleurissent. Avec un angle qui ressort cette année : celui de la situation financière des établissements.

Dans les innombrables répliques du séisme déclenché par la publication des « Fossoyeurs » en 2022, on parlait de maltraitance, des sous-effectifs, et de l’appétit vorace de certains grands groupes privés lucratifs prêts à tout pour rogner les dépenses et augmenter les marges. Or en cette rentrée 2024, et alors que les Assises battent leur plein, l’attention se focalise sur le déficit des Ehpad, qui « s’enfoncent dans la crise financière » (Le Monde). Signe des temps : on suit désormais l’argent. Et c’est parmi les indicateurs économiques que l’on va chercher un thermomètre.

Part des Ehpad en déficit - CNSA

« Près de 85 % des Ehpad » de la fonction publique hospitalière (FPH) « enregistrent un résultat déficitaire pour l’exercice 2023 » s’alarme la Fédération Hospitalière de France (FHF). Un Ehpad sur trois a rencontré des difficultés de trésorerie. Si on élargit le spectre à l’ensemble des établissements publics et privés non lucratifs (soit les trois quarts des Ehpad quand même), les données de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dressent le même constat : 60% de ces Ehpad sont déficitaires en 2022. Une analyse qui écarte les établissements privés lucratifs, non soumis à une obligation de renseignement de leurs données, et qui constituent de toute façon une offre bien à part – leur taux de marge (EBITDAR sur CA pour les techniciens) approchant plutôt les 25 à 35%

Pourtant, le graphe ci-dessous raconte une autre histoire. Celle d’hommes et de femmes qui se battent tous les jours pour faire plus avec moins. Le déficit cumulé des établissements étudiés par la CNSA s’élève en 2022 à 408 millions d’euros, pour un « budget » global de ces établissements de plus de… 26 milliards d’euros. Moins de 3% de déficit donc. Si l’on était taquin, on pourrait dire que ces établissements font mieux que le gouvernement, dont le déficit public (5,5% du PIB) lui vaut les foudres de Bruxelles. Bonne nouvelle donc pour la FHF et les gestionnaires d’Ehpad publics et privés non lucratifs : ils respectent la limite fixée par le Pacte européen de stabilité et de croissance !

26 milliards de budget, et après ?

J’arrête là l’ironie. Prenons quand même le temps de contempler ce chiffre de 26 milliards d’euros. Il nous dit de l’enjeu économique que représentent les Ehpad pour notre pays. C’est la moitié du service de la dette (encore elle). L’équivalent du budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (avec ou sans rabot, on attend comme tout le monde le nom du prochain ministre pour s’en assurer). 26 milliards, pour 600 000 résidents. Or on en attend jusqu’à 1 million en 2050, avec un niveau de dépendance et une charge de soin (GIR et PMP) en croissance continue. Je vous laisse faire le calcul et prendre la mesure de ce qui nous attend. Non, l’Ehpad n’est économiquement pas un « petit » sujet.

En fait, le problème n’est pas tant le montant total du déficit que sa distribution.3% du budget, mais 60% des établissements touchés. Une forte hausse par rapport à 2021 (49%) et même un niveau inédit. Parmi les Ehpad publics et privés non lucratifs en déficit, seule la moitié présentent un déficit supérieur à 5%. Des sommes pas si importantes, mais qui à l’échelle locale suffisent à faire mourir ces établissements à petit feu : les trois quarts des 58 Ehpad normands adhérents à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap) sont déficitaires, de 250 000 euros en moyenne.

Distribution des EHPAD déficitaires en 2022 selon l'intensité du déficit

Gardons en tête que ce sont ces Ehpad qui prennent en charge le plus de résidents : les établissements publics comptent en moyenne 88 places, contre 76 pour les établissements privés commerciaux. Ils assurent aussi un encadrement humain supérieur, avec en moyenne 7 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour 100 résidents accueillis. Encore un chiffre ? 20% des Ehpad publics ont mis en place un dispositif IDE la nuit (présence ou astreinte) contre 10% dans le privé lucratif.

Des explications, mais pas de projection

Logiquement, ces Ehpad ont subi de plein fouet les hausses de rémunération prévues par les accords du Ségur de la santé en 2020, qu’ils estiment à 84% insuffisamment compensées par leurs dotations. Il en est de même pour l’inflation galopante sur les charges (énergie, alimentation…) : +259 millions d’euros entre 2021 et 2022, que la hausse des tarifs d’hébergement n’a pas endiguée.

Mais d’autres facteurs plus structurels, et pernicieux, se font sentir. Notamment la baisse du taux d’occupation : 92,9% en 2022 selon la CNSA, très en-deçà de 2017 (96,2%). « L’image d’Epinal de l’Ehpad mouroir est durablement ancrée dans l’opinion » explique Anne Souyris, sénatrice Les Écologistes de Paris, dans Le Monde. Le Covid, ses 10 000 morts et ses confinements mortifères sont passés par là. Le journaliste Victor Castanet aussi, avec son livre sur les maltraitances au sein du groupe Emeis (ex-Orpéa). Cette baisse de l’activité est une triple peine pour les établissements : moins de rentrées, moins d’argent public reçu (car indexé au nombre de résidents), pour des charges fixes qui restent peu ou prou identiques. Le manque à gagner lié au taux d’occupation est évalué à 327 millions d’euros pour 2022 par rapport 2017.

Taux d'occupation des places en EHPAD par année, 2017-2022 (en %)

Et les causes finissent par se mélanger : mal vus, insuffisamment dotés, les Ehpad peinent aussi à recruter. Ils doivent recourir de plus en plus à l’intérim ou aux personnels « de débordement ». Une situation instable mal vécue par les équipes, qui a un coût : le poste des « personnels extérieurs » a plus que doublé en euros depuis 2017.

Déficits petits ou grands, mais déficits quand même : « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Et si ces mots de La Fontaine (Les animaux malades de la peste) résonnent sinistrement dans notre activité, et bien soit. Comme le dit Cédric, un aide soignant interviewé à la radio le 10 septembre : « les anciens méritent mieux ». Ne jetons pas l’opprobre sur un secteur tout entier, ou beaucoup font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Comme dans la fable, certains sont plus à blâmer, sans pour autant avoir à assumer les pleines conséquences de leurs actions. Mais d’autres ne demandent qu’une chose : qu’on leur donne les moyens de remplir leur mission.

À ceux-là, nous devons une réponse.

Dan

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